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Presse

Comment permettre à la France de devenir leader de l'ISR ? Interview de Bertrand Fournier




le Journal de l'Economie Durable - 04/02/2010

Bertrand Fournier, président du directoire de LFP-SARASIN AM et Secrétaire Général d'UFG-LFP, revient sur l'Investissement Socialement Responsable et ses marges de progrès.

(ECOlife) Comment l'investissement socialement responsable (ISR) progresse t-il ?
(Bertrand Fournier) Le fait qu'un certain nombre d'investisseurs souhaitent investir dans l'ISR peut pousser un certain nombre d'émetteurs à adopter les comportements qui correspondent.
Prenons l'exemple des PRI - ou Principes d'investissement responsable. Lorsqu'ils ont été lancés, ils ont recueilli 5 000 milliards de dollars des investisseurs et des acteurs de l'Asset Management. Aujourd'hui, on aurait dépassé les 15 000 milliards. Le jour où on sera dans la zone des 50 000 milliards, on approchera de la moitié de la capitalisation boursière planétaire. Si tel était le cas, un certain nombre d'émetteurs n'auraient plus le choix et devraient rentrer dans les grilles d'exigence fixée par cette communauté d'investisseurs.

Où en est le marché français ?
Le total des encours ISR en France dépasse difficilement les 30 milliards d'euros par rapport au marché d'OPCVM [Organismes de Placements Collectifs de Valeurs Mobilières] qui dépasse les 1 000 milliards d'euros, voire 1 300 ou 1 400. Mais il croît depuis 2003-2004.

L'ERAFP [Etablissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique], par exemple, est la seule institution européenne de retraite par capitalisation à avoir décidé de consacrer la totalité de ses investissements à l'ISR. On ne peut pas dire que le monde institutionnel se soit accaparé l'ISR, à part une ou deux caisses de retraite comme Agrica.

Qu'est-ce qui explique la réticence des institutionnels ?
Il y a un jeu de quitte ou double. Si on y va, on y va tout entier. Ils craignent très probablement le caractère un peu binaire de l'opération.

Dans le même temps, les choses ont évoluées dans l'esprit du public et donc dans celui de l'investisseur final, chez qui le degré d'exigence morale sur l'utilisation qu'est faite de son argent dans les services proposés est implicitement de plus en plus fort. Il n'est pas impossible que la crise financière et la crise de moralité qui en est la cause, y aient aidé.
On constate un appétit croissant dans la clientèle finale de particuliers pour ces sujets. Comme nous ne sommes pas au contact direct de la clientèle finale, on le constate via les intermédiaires, les Conseils en Gestion de Patrimoine et les réseaux bancaires. Les CGP n'ont pas vraiment encore démarré mais ils ont envie qu'on leur en parle. On commence à les sentir vouloir s'emparer du sujet ISR.

Qu'en est-il dans les pays voisins ?
Le marché français reste peu développé eu égard au bruit médiatique sur l'ISR qui est fort. Il est presque devenu un passage obligé, on retrouve d'ailleurs un dossier ISR dans les médias une ou deux fois par an.

Cependant, l'Europe du Nord et l'Allemagne sont plus avancées. En Allemagne, le biais écologique est plus ancien qu'en France. En Europe du Nord, le substrat culturel est installé, ce sont des choses normales et cohérentes. Le fonds pétrolier norvégien a par exemple mis en place des grilles d'analyse extra financières.

Mais l'ISR doit tenir compte des cultures locales. Les différences de sensibilité entre la France et les pays d'Europe du Nord sont encore significatives. Comme la Responsabilité sociale et environnementale qui doit être adaptée aux pays émergents. On ne peut pas demander aux pays émergents d'avoir le même degré de sensibilité que nous, il faut tenir compte de la réalité locale.

Comment l'ISR peut-il gagner du terrain ces prochaines années ?
Les produits ISR racontent de belles histoires. On a les moyens de capter l'adhésion d'un investisseur final particulier sur des concepts d'investissement, bien sûr avec un objectif de performance et des résultats à la hauteur des espérances. Il nous faut transformer l'acte de vente habituel d'un Conseiller de Banque qui fait campagne trois fois par an sur le Plan d'Epargne Logement, en quelque chose de plus croustillant, plus sympathique. L'ISR ne laisse pas indifférent. Un client qui souscrit à un produit de ce genre affirme aussi une conviction personnelle, au-delà de l'attente qu'il peut avoir sur un produit financier classique. Cela enrichit l'acte de vente. Les intermédiaires commerciaux ont l'air d'accueillir cette relation favorablement.

Pour que ça décolle, il faut aussi des incitations règlementaires et fiscales. Il suffirait de dire demain matin, que tel pourcentage des portefeuilles PEA doit être investi en titres ou OPCVM labellisés ISR et ce serait lancé. C'est plus facile à dire qu'à faire, forcément.
Mais un Etat qui milite à Copenhague et qui a construit le Grenelle de l'Environnement serait légitime.

Cela permettrait à la France d'être le premier marché européen de l'ISR avec une visibilité, un poids et une crédibilité. Le Grenelle de l'Environnement aura du succès en fonction des règlementations opérationnelles et incitatives qui seront mises en place.

Propos recueillis par Julie Renauld